Comment nous avons tué les sols de la vigne

fomration des sols de la vigne Vous allez apprendre dans cet article les clés pour comprendre comment se forme le sol, dans lequel la vigne puise les éléments qui la font vivre… et qui sont susceptibles de donner une typicité au vin. C’est ce qu’on appelle le goût de terroir.

Grâce à ces bases, je vous montrerai comment nous avons tué les sols de la vigne à cause de certaines pratiques agricoles… et comment cela joue négativement sur le vin produit. Mais comme je suis optimiste, nous verrons que tout n’est pas perdu et qu’il existe encore des vins de terroir !

Parlons un peu de terroir …

Ah, le « terroir » … Vous savez, c’est ce mot typiquement français, qui désigne une zone géographique présentant une « certaine homogénéité ».
Le terroir, c’est un concept complexe qui résulte de l’interaction de plusieurs choses :

 

terroir notion

Nous allons nous attarder sur cette composante essentielle qu’est le sol, et je vais vous donner à présent les bases pour comprendre comment se forme le sol. C’est un concept passionnant, et dont il vous faut mesurer l’importance.

Les clés de la formation des sols

  • En surface du sol, vous avez de la matière organique : des feuilles d’arbres, des débris végétaux, des déchets animaux, …
  • Et en profondeur, vous avez ce qu’on appelle la roche mère : du bon vieux caillou, la partie superficielle de la croûte terrestre. C’est le monde minéral.

Et entre ces 2 mondes, l’organique en surface et le minéral en profondeur, vous avez pleins d’organismes qui travaillent pour créer le sol.
Le sol est un milieu complexe, réservoir de vie et de fertilité.
Dans ce sol, la vigne va puiser ses substances nutritives pour se développer, faire mûrir son raisin, duquel l’homme va produire le vin.

sol et organique minéral

Joli cheminement, non ?

Intéressons-nous au sol à proprement parler, situé entre la surface (matière organique) et les profondeurs (Roche mère).

Pour bien comprendre le concept, retenez que le sol résulte de l’union du monde organique et du monde minéral (en profondeur).

Le principe est le suivant :

  1. Les composés organiques (déchets animaux et végétaux) vont être dégradés.
  2. Les composés minéraux (la pierre) vont être dégradés.
  3. Ces composés vont s’unir pour former le sol, qui est donc de nature organominéral.

le sol formation

Mais comment se marient le monde organique et le monde minéral ?

Et bien, c’est très simple ! (bon en fait, ce n’est pas simple du tout, mais je vais faire en sorte de vous présenter le concept de manière simple, tout en restant précis).

En surface, les débris végétaux et animaux forment la litière.
La litière est décomposée par l’action de :

  • la faune qui vit en surface, et
  • des champignons,

pour créer un composé appelé l’humus.

formation de l humus

En profondeur, les racines des plantes et les microbes attaquent la roche mère en secrétant des acides.
La roche mère se décompose en pierre, sable, limon, et enfin argile.

formation de l argile

Nous voilà donc à présent avec 2 composés, qui résultent de la dégradation des animaux (en surface) et de celle de la roche (en profondeur) :

  1. L’argile (pour le monde minéral)
  2. L’humus (pour le monde organique)

La formation du sol va résulter de l’union entre les argiles et les humus.
Ceux-ci vont se lier grâce à l’action d’un animal, le ver de terre.

Cette petite bête est indispensable à la formation du sol, car c’est elle qui lie les argiles et les humus en brassant ces 2 éléments. Elle les assemble en formant ces tourbillons que vous voyez en surface des sols. Ce sont ces excréments, qu’on appelle les turricules. Bref, le ver de terre fait un boulot de fou.

 ver de terre

Ce qui faisait d’ailleurs dire à Darwin en parlant des vers de terre ; « il est permis de douter qu’il y ait d’autres animaux qui aient joué dans l’histoire du globe un rôle si important que ces créatures »

Donc, revenons au travail de nos vers de terre : ils unissent le minéral à l’organique, les argiles au humus, et forment un composé appelle le « complexe argilohumique » (CAH).

formation du complexe argilo humique

Sans entrer dans les détails, ce CAH est chargé négativement, cela veut dire qu’il comporte un excès d’électrons et qu’il est en mesure d’attirer des composés chargés positivement, un peu comme un aimant.
Les composés fixés par le CAH vont être des minéraux (car chargés positivement).

cah et mineraux

Le CAH est un réservoir de fertilité pour les plantes, car il retient tous les minéraux nécessaires à la vie des plantes.

Pour vous résumer, jusque-là nous avons vu que :

  1. En surface, les animaux + végétaux morts sont décomposés grâce aux champignons et à la faune de surface… et forment l’humus
  2. En profondeur, la roche est décomposée grâce aux racines et aux microbes , et forment les argiles
  3. Les 2 s’unissent grâce au ver de terre pour former un complexe, le CAH, réservoir de fertilité et de vie pour le sol.

 

reservoir vie cah

Et c’est là que l’homme intervient pour perturber cette belle mécanique.
C’est ce que nous allons voir tout de suite.

Comment l’homme détruit les sols de la vigne

Pour simplifier, je dirai qu’il existe principalement 2 pratiques agricoles qui détruisent la vie du sol.

  1. Le labour
  2. Les engrais chimiques

Voyons à présent comment chacune de ses pratiques contribuent à tuer les sols de nos vignes.

Comment le labour détruit la vie du sol

En labourant un sol, on pousse la litière (tous les déchets de surface) en profondeur. On l’enfouit.

Or, le gros souci est que les champignons ne peuvent plus transformer cette litière en humus, lorsque cette litière est enfouie ! Et oui, les champignons ont besoin d’air pour travailler, et point d’air en profondeur. Du coup, l’humus ne peut plus se former.

labour et destruction des sols

Au passage, avez-vous déjà observé l’aspect d’un vieux piquet enfoui dans le sol ? si vous observez la pointe du piquet, vous constaterez qu’elle est intacte, pas du tout décomposée.
Cela illustre bien ce qu’on a dit plus haut : ce qui est enfoui n’est pas décomposé en humus, car les champignons ne bossent pas quand ils sont privés d’air.

piquet

Voilà donc comment le labour empêche la création de l’humus.

Comment les engrais chimiques détruisent la vie du sol

Le fait d’apporter de l’azote aux sols à une implication : on favorise le travail des bactéries, et non celui des champignons.

engrais et destruction sol

Bien me direz-vous, et alors ?
Et bien, le problème est que ces organismes n’ont pas du tout le même rôle dans la formation des sols !
Les champignons forment l’humus, mais pas les bactéries.

D’où la disparition de l’humus.

Donc, le résultat de ces pratiques se résume à ceci : on détruit la matière organique qui se situe en surface des sols.
Pour vous donner un chiffre, on est passé de 4% de matière organique dans les sols agricoles, à 1.6% aujourd’hui.

Mais alors, quel est le problème ?

Et bien, sans humus, on ne peut pas avoir de CAH ! Vous vous souvenez, le complexe argilo-humique, qui résultait de l’union des argiles et de l’humus, réalisés par nos vers de terre ?

Or, ce CAH était un réservoir de fertilité, qui fixait les minéraux du sol.

Quelles sont les conséquences sur la vie du sol ?

Les éléments du sols ne sont plus retenus par le CAH et sont lessivés, ils s’écoulent en profondeur , dans les nappes phréatiques.
La matière organique disparaît, et du même coup, la faune qui s’en nourrit : La faune disparaît à son tour.

La faune n’est plus là pour aérer le sol, et pour en remonter les éléments nutritifs.
Tout cela crée ce qu’on appelle l’érosion, et la désertification des sols. Le sol devient dur, compact.

erosion

Au passage, avez-vous déjà observé comme la plupart de nos rivières sont troubles, au lieu d’être transparentes ? et bien ce phénomène est due à la destruction du CAH : la cohésion argile + humus n’est plus assurée, et ces éléments sont entraînés par les eaux et les pluies.

C’est un triste constat, n’est-ce pas ?
L’agriculture industrielle est une catastrophe pour les sols.

Nos vins peuvent-ils avoir un goût de terroir ?

La question mérite donc d’être posée !

Si le sol n’est plus qu’un support sans vie sur lequel on apporte des engrais azotés, il sera difficile de trouver une typicité de terroir !

Mais rassurons-nous :
D’abord, tous les sols ne sont pas morts …
Ensuite, la concurrence des vins du nouveau monde a eu un aspect positif : il y a eu une prise de conscience de l’importance du terroir : Un grand vin est issu d’un grand terroir… D’où la nécessité de le préserver.

De plus, sachez qu’il existe heureusement des pratiques agricoles qui respectent la vie du sol et contribuent à augmenter les rendements sans détruire la vie.
Ce n’est pas le sujet de cet article, aussi je citerai simplement, en vrac : le concept du marnage, du compostage, le semi direct, ….
Mais ce sont des concepts aux antipodes de l’agriculture industrielle qui vit en vendant des engrais pour faire vivre des plantes dans des sols morts !

Remerciements, et explication de ma démarche

Quel est le message de mon article ?

J’ai souhaité vous montrer la complexité du sol, et de sa formation rendue possible par l’interaction des champignons, des microbes, de la faune.

vigne

En effet : Décrypter le sol, cela permet de mieux mesurer son importance, et son rôle dans la notion si complexe de terroir.
Et il faut préserver nos terroirs pour déguster de grands vins.

Remerciements

Cela fait plus de 20 ans que les créateurs du Laboratoire d’Analyse Microbiologiques des Sols, Claude et Lydie Bourguignon, alertent sur l’état des sols et travaillent aux côtés des vignerons pour en restaurer la biodiversité.

Cherchez « Claude et Lydie Bourguignon » sur internet, vous trouverez des vidéos intéressantes, et des études à lire !

Ils ont eu la gentillesse de relire cet article, par lequel j’espère contribuer un tout petit peu à porter leur message.

18 thoughts on “Comment nous avons tué les sols de la vigne

    1. Luiz, merci pour votre commentaire sur l’article. cela faisait un moment que je souhaitais traiter ce sujet… mais il m’a fallu passer pas mal de temps sur la partie pédagogie pour que ces concepts complexes soient le plus clairs possibles. Donc je suis ravi que vous l’ayez apprécié !

  1. Je débute en oeunologie et je viens de découvrir ton site, simple, bien fait et facilement compréhensible même pour moi 66ans, bravo, je te suivrai donc, pour les cours, dommage que ca ne se passe qu’a Paris (je suis de Marseille, enfin a coté, Vitrolles)
    Bravo et merci.

  2. Bon article, mais vous avez oublié de mentionner que la principale cause de la disparition de la flore fongique (champignons) dans les sols de vignobles est l’utilisation de la bouillie bordelaise depuis plus d’un siècle et l’accumulation de cuivre qui s’en suit.

  3. Bonjour Yann,

    C’est le titre terrifiant de votre article qui m’a amené à lire votre billet qui décrit bien par ailleurs et de manière pédagogique le principe de base du fonctionnement des sols en agriculture. Je savais déjà par avance, que vous alliez citer Claude Bourguignon qui dénonce sans cesse la « mort des sols » agricole en France comme dans le monde. Son analyse intéressante mérite d’être écoutée mais on peut aussi prendre du recul sur son discours anxiogène et caricatural. Aussi, je voudrais vous assurer, tous les sols agricoles ne sont pas morts dans notre beau pays, même s’il y a des zones qui s’appauvrissent en matière organique, il n’est pas question de le nier. En tant que viticulteur possédant des vignes sur différents types de sols, je peux vous affirmer que l’utilisation d’engrais chimique ne s’accompagne pas inéluctablement par moins d’humus. Je dirais même qu’en viticulture, il est souvent plus facile de maintenir un niveau de MO qu’en grande culture (restitution des bois de vignes, enherbement des allées, utilisation de composte économiquement plus envisageable…).
    L’apport des engrais « chimiques » de manière raisonnée et sous différentes formes permet justement de répondre au mieux aux besoins de la plante. On peut moduler des apports d’engrais chimiques et organiques. Des apports d’engrais foliaires sont de plus en plus utilisés pour corriger des carences en fonction des climatologies observées (les années sèches, la vigne ne s’alimente pas de la même façon qu’une année humide).
    J’attire également votre attention sur une idée reçue, l’itinéraire technique et le cahier des charges de la viticulture biologique ne garantissent absolument pas une meilleure activité microbiologistes des sols. La présence de cuivre dans les sols cultivés en Bio est souvent plus forte (utilisation de la bouillie bordelaise), le nombre de vers de terre moins nombreux et la présence de champignon est freinée par le fongicide naturel, le cuivre qui ne se dégrade pas contrairement aux autres produits phytosanitaires de synthèse…

    Cordialement.

    1. Bonjour Olivier,
      merci pour votre message et vos commentaires. Je me suis permis de le transmettre à Claude et Lydia Bourguignon, afin d’avoir le retour de ceux qui pour moi sont LES spécialistes de la microbiologie des sols. Je me permets de le publier ci-dessous, avec leur autorisation :

      Bonjour,
      En vigne, depuis 20 ans , les apports d’azote ont effectivement baissés chez la plupart des vignerons ont fini par comprendre que l’azote provoquait la pourriture des raisins mais ce n’est pas le cas en agriculture. D’autre part ce vigneron broie ses bois de taille ce qui n’est pas le cas de la majorité des vignerons. En moyenne depuis 50 ans la teneur en MO a baissé dans tous les sols d’Europe, vignes comprises. Cela ne veut pas dire que certains vignerons, en particulier les « bio », n’ ont pas su conserver leur MO. Le problème est que vous trouverez toujours une exception qui confirme la règle. Mais sur le plan scientifique, les engrais chimiques favorisent la minéralisation de la MO car ils favorisent les bactéries au dépend des champignons en baissant le rapport C/N. De plus la vigne est l’exemple type de la plante qui n’a pas besoin d’engrais car elle exporte peu.
      A propos du cuivre, il est vrai que certains « bio » en utilisent de trop mais ce n’est pas le cas de tous. Ce vigneron est de mauvaise foi, il généralise son cas particulier parce que cela l’arrange et il généralise des cas particuliers de « bio » mettant trop de cuivre car cela l’arrange aussi. C’est de moyenne qu’il faut parler en non pas généraliser des cas particuliers.
      Salutation

      Lydia et Claude Bourguignon
      Directeurs du LAMS

  4. Excellent article, très pédagogique et en même temps précis.

    Il me semble que le labourage perturbe également l’action des bactéries anaérobies (hors oxygène) qui participent à la formation de l’humus. En retournant la terre, on expose à l’air libre ces bactéries, cela les tue et annihile leurs actions bénéfiques.

  5. Bonsoir Yan, il me semble qu’en vulgarisant comme tu le fais, tu abuses de l’image. Comme tu as fait relire tes cours, je me risque à critiquer, positivement, tes propos « En profondeur, les racines des plantes et les microbes attaquent la roche mère en secrétant des acides.
    La roche mère se décompose en pierre, sable, limon, et enfin argile. ».
    Ce que je dirais moi est que la vigne pousse sur des sols composés de divers minéraux, dont l’argile mais que ce n’est pas la résultante d’une attaque par les microbes. Je suis actuellement un Mooc qui présente la géologie. Je poserai la question mais, si les inscriptions ne sont pas closes, tu serais le bienvenu dessus. Je te donne le lien:https://www.france-universite-numerique-mooc.fr/courses/MinesTelecom/04004/Trimestre_2_2014/about

    Les minéraux apporteraient le caractère aux vins. En ce qui concerne la notion de terroir, il ne faudrait pas oublier l’encépagement, le travail de l’homme, l’exposition et la climatologie.
    Merci de ton intérêt pour mon message. A bientôt.

    1. Merci Mike pour le commentaire !
      Pour répondre à votre remarque : l’argile désigne 2 « éléments », en géologie : une fine particule, ou bien un minéral. Ce sont 2 notions différentes.
      Quand je parle de la décomposition de la roche mère, je fais référence à l’argile en tant que particule.
      Pour le terroir, on fait référence à l’environnement de la vigne : donc vous avez raison, l’ensoleillement et la climatologie en font partie, c’est ce que j’ai appelé sous les termes « climat » et « topographie ». Le cépage et le travail de l’homme n’entrent habituellement pas dans la définition du terroir, car ce n’est pas un facteur géographique. Merci pour le lien du Mooc, c’est excellent ce cours ! mais il me semble que les inscriptions sont closes 🙁
      A bientot et encore merci pour vos remarques

  6. J’ai suivi les 6 cours avec un très grand intérêt et j’ai appris beaucoup de chose sur le vin. Je pense que l’aspect terroir est important. J’ai pu observer dans mon jardin l’importance de la faune sur le sol depuis que je possède un jardin. Quand j’ai lu la séquence les racines attaquent la roche mère j’ai sursauté car je savais que les argiles qui sont de différentes couleur dans le monde proviennent de l’attaque par les pluie de la roche mère. La lecture des poste et particulièrement celui de Mike et ta réponse mon rassuré. C’est vrai qu’il est difficile de vulgariser les chose pour une meilleur compréhension par le commun des mortel.Concernant l’influence du comportement de l’homme sur la nature. Un peu de philosophie, la nature n’acceptera pas le comportement de l’homme et le fera disparaître, reste à savoir ce qu’est la nature !!!!!.

  7. Bonjour,cet article est « clair , net et précis ». Tout y est, rien ne manque. Bravo!
    J’anime une ferme bio, qui fait de l’accueil pédagogique. J’aimerais avoir l’autorisation d’utiliser vos schémas pour expliquer la vie du sol.
    Bien cordialement

  8. Bonjour Yann,

    Votre article est très didactique, agréable et facile à lire.
    Connaitre le vin, c’est aussi s’intéresser au monde physique et humain dans lequel nous vivons.
    Votre vision, globalisante, est passionnante. J’apprécie beaucoup la qualité de vos présentations et votre démarche écologique que je partage totalement.
    Encore bravo !
    J’attends avec impatience votre prochaine publication.
    Jean-Frédéric.

  9. Bonjour ! je suis à la recherche de quelqu’un qui pourrait m’expliquer pourquoi, quand je taille ma vigne en ce moment (fin mars 2020) et que je coupe un sarment, même très fin, j’entends un chuintement, dans le sol, assez fort et cela jusqu’à plus de 5 m autour du cep en question. C’est extrêmement troublant d’autant plus que cela ne se produit que sur 1 parcelle d’un ha, conduite en bio non labourée depuis quelques années.
    J’aimerai vraiment savoir ce que cela signifie de la vie du sol et de la vigne.
    Merci infiniment de vos réponses. Corine

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